Droit Bancaire

Le devoir de vigilance bancaire à l’épreuve de l’escroquerie

Dans un jugement au fond rendu le 10 décembre 2024 obtenu par notre cabinet SUDAIX, le tribunal judiciaire de Marseille a rappelé avec fermeté le devoir de vigilance et d’information des établissements bancaires.

Cette affaire, qui met en lumière les limites du principe de non-ingérence des banques, oppose un particulier, Madame A (notre cliente), à son établissement bancaire, la banque X, accusée par Madame A de manquements face à une fraude bancaire.


En l’espèce, Madame A, désireuse d’acquérir un bien immobilier, sollicite sa banque, a banque X, pour un prêt immobilier. Parallèlement, elle initie également une demande en ligne auprès de la banque en ligne Fortuneo. Peu après, Madame A reçoit une offre de prêt qu’elle croit provenir de la banque Fortuneo, suivie d’un contact avec un individu se présentant comme un conseiller Fortuneo. L’offre de crédit de Fortuneo est un peu plus intéressante financièrement pour Madame A que l’offre de crédit émise par sa banque X.

En vue du dépôt de l’apport de Madame A, le fraudeur réclame la réalisation de quatre virements pour le montant total de l’apport. Madame A s’exécute et ce n’est qu’après la réalisation des quatre virements que son conseiller bancaire la contacte pour l’informer qu’hélas il s’agissait d’une escroquerie.

C’est ainsi que Madame A assigne sa banque X en justice en indemnisation de ses préjudices financier et moral, considérant que la banque X a failli à ses obligations de vigilance et d’information. Parmi les anomalies qui auraient dû éveiller l’attention du conseiller de la banque X, Madame A reproche à sa banque :

  • de ne pas l’avoir alertée que les quatre virements demandés par Fortuneo (en réalité le fraudeur) devaient être effectués sur des Relevés d’Identité Bancaire mentionnant les codes BIC d’autres banques.
  • de ne pas l’avoir informée que ce procédé de versement de l’apport sur le compte de la prétendue banque prêteuse était inhabituel, l’apport devant être versé sur le compte séquestre du notaire en charge de l’acquisition.
  • De ne pas avoir compris la supercherie lorsque le conseiller de la banque X a  eu le (faux) conseiller au téléphone.

De son côté, pour sa défense, la banque X brandit le principe de non-ingérence, selon lequel elle n’est pas tenue de s’immiscer dans les affaires de ses clients ni d’apprécier ou conseiller ses clients sur ses dépenses ou investissements :

  • Qu’elle avait donc l’interdiction de juger de l’opportunité des paiements de Madame A.
  • Qu’au surplus, il existe un certain nombre de signalements en ligne relativement à cette escroquerie.
  • Qu’enfin, le conseiller de la banque X a fait part de ses doutes à Madame A lors de plusieurs discussions, et que Madame A l’a indiqué dans sa plainte pénale dont le procès-verbal est produit par Madame A.

Le Tribunal judiciaire de Marseille devait donc se prononcer sur cette confrontation entre devoir de vigilance bancaire et principe de non-ingérence du banquier.

Pour trancher, le Tribunal judiciaire s’est attaché à élément crucial : le rôle actif du conseiller bancaire de Madame A dans la validation des virements suspects.

Le tribunal a mis en évidence les indices de fraude que la banque X, professionnelle du secteur bancaire, aurait dû détecter, soulignant notamment que les quatre virements avaient été effectués au bénéfice de deux banques distinctes, autres que Fortuneo, ce que le conseiller bancaire aurait dû constater. En effet, chaque virement dépassait le plafond autorisé et nécessitait donc une intervention préalable du conseiller bancaire de Madame A. À chaque validation, la banque avait donc connaissance des RIB des bénéficiaires, qui comportaient des incohérences manifestes avec ceux de la banque Fortuneo. Le tribunal a qualifié cette anomalie de « grossière et manifeste ».

En outre, le tribunal souligne que le conseiller de la banque X n’a jamais clairement alerté Madame A ni ne lui a confirmé ses doutes par écrit.

Face à cette situation, le tribunal a jugé que la banque X avait manifestement failli à son devoir de vigilance, et qu’elle engage ainsi sa responsabilité.

Outre le remboursement de l’intégralité des fonds versés sur les comptes tiers, Madame A obtient une indemnisation compensatrice de son préjudice moral, et une autre pour ses frais de justice.

Dans un contexte où les escroqueries financières sont de plus en plus fréquentes, ce jugement peut permettre aux justiciables de réaliser qu’ils ne sont pas forcément démunis dans pareilles situations, et aux banques qu’elles doivent redoubler de vigilance face à des indices de fraude bancaire, sous peine de lourdes sanctions.

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