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L’article L.80 A du livre des procédures fiscales : Une garantie pour les contribuables face aux changements de position de l’administration fiscale

L'administration fiscale dispose de larges pouvoirs pour établir ou rectifier les impositions des contribuables. Cependant, ces pouvoirs ne sont pas sans limites. Afin de protéger les contribuables et d'assurer une stabilité juridique, le législateur a prévu des mécanismes offrant des garanties.
Parmi eux, l’article L.80 A du Livre des Procédures Fiscales (LPF) se distingue comme un outil clé permettant aux contribuables d’opposer à l’administration fiscale ses décisions ou prises de position antérieures, lorsque celles-ci sont remises en cause par des positions nouvelles.
Ce dispositif offre ainsi une protection essentielle aux contribuables confrontés à des revirements administratifs, parfois perçus comme arbitraires.
UNE PROTECTION EN TROIS TEMPS
L'article L.80 A du LPF prévoit trois situations distinctes dans lesquelles la garantie peut être mobilisée par un contribuable :
- L'alinéa 1er s'applique lorsque l'administration a formellement et personnellement pris position, à l'égard du contribuable, sur l'interprétation d'un texte fiscal, puis procède à un rehaussement contraire à cette position.
- L'alinéa 2 concerne les situations où l'administration a examiné une situation lors d'un contrôle fiscal, même sans prendre de décision formelle. Il donne une valeur officielle aux points déjà vérifiés, empêchant ainsi l'administration de revenir sur sa position après un contrôle antérieur.
- L'alinéa 3 concerne les changements d’interprétation des textes fiscaux, par l’administration, dans sa doctrine publiée.
Chaque garantie est soumise à des conditions précises, adaptées aux différentes situations fiscales rencontrées par les contribuables. Cette structuration offre un cadre clair et équilibré, permettant d'assurer la stabilité et la prévisibilité des relations fiscales.
I. - PROTECTION CONTRE LES REHAUSSEMENTS EN CAS DE PRISE DE POSITION FORMELLE
En vertu de l’alinéa 1er de l’article L.80 A du LPF, l’administration fiscale ne peut pas augmenter les impôts d'un contribuable en se basant sur une interprétation différente d'un texte fiscal par rapport à celle qui lui avait été précédemment communiquée.
Pour que la garantie s’applique, la position opposée à l’administration doit remplir les conditions suivantes :
1. Prise de position formelle :
La position de l'administration doit être explicite et non équivoque. Nous le verrons, mais contrairement à l'alinéa 2 et 3 de l'article L.80 A du LPF, cette garantie peut être basée sur des documents qui n'ont pas été publiés et posséder un caractère général (instruction, circulaire, documentation de base, réponse ministérielle, etc.) ou individuel.
À titre d'exemple, le Conseil d'État a reconnu qu'une simple décision de dégrèvement non motivée ne pouvait être considérée comme une prise de position formelle1.
2. Interprétation d'un texte fiscal :
La position de l'administration doit avoir pour objet de préciser le sens et la portée des textes légaux ou réglementaires qui lui sont soumis, y compris lorsque cette interprétation est contraire à la loi.
A contrario, si la prise de position de l'administration concerne uniquement l'évaluation d'une situation particulière par rapport à l'application d'une loi fiscale, elle ne peut pas être contestée en utilisant l'article L.80 A du LPF. Dans ce cas c’est l'article L.80 B du LPF qui s’applique.
3. Existence d’un rehaussement de l’administration :
L’alinéa 1er de l’article L.80 A du LPF ne concerne que les situations où l'administration augmente des impôts déjà payés. Il s'applique uniquement aux ajouts d'impôts sur une somme déjà réclamée, et non lorsque l'administration impose un nouvel impôt pour la première fois.
À titre d'exemple, si l’administration considère qu’un contribuable est pour la première fois assujetti à la TVA et met cette imposition à sa charge, la garantie de l’alinéa 1er ne pourra être invoquée puisqu'il s'agit d'une imposition primitive.
En revanche, dans le cas où le contribuable a déjà déclaré de la TVA et que l’administration revoit à la hausse le montant déclaré, elle procède à un rehaussement et la garantie sera pleinement applicable.
4. Antériorité à la date d’expiration du délai de déclaration :
Pour contester une augmentation d'impôt, le contribuable doit se baser sur une interprétation officielle qui a été donnée avant la fin du délai de déclaration.
De plus, il convient de souligner que la garantie ne pourra pas être applicable si, entre le moment de la prise de position et celui où elle est invoquée par le contribuable, l'un des éléments suivants survient :
- Une modification de la législation, de la réglementation ou de la doctrine sur laquelle repose le rehaussement ;
- Une évolution ou une modification de la situation de fait initiale.
Ainsi, l'alinéa 1er institue une garantie limitée aux rehaussements d'impositions antérieures.
Toute doctrine, quelle qu’en soit la source ou le support, peut être invoquée à condition qu’elle contienne une interprétation formelle du texte fiscal2.
Le critère déterminant demeure l'existence d’une interprétation formelle d'un texte fiscal, permettant ainsi au contribuable de se prémunir contre des changements injustifiés de position administrative.
II. – UNE PROTECTION CONCERNANT LES POINTS CONTROLÉS PAR L’ADMINISTRATION
Introduit en 20183, l'alinéa 2 de l'article L.80 A du LPF complète les garanties offertes par le 1er et 3e alinéas.
Il permet aux contribuables d'utiliser les informations des propositions de rectification émises par l’administration, même pour des points contrôlés mais non rectifiés.
En plus d’exiger une interprétation explicite d’un texte fiscal par l’administration et une prise de position antérieure à l’imposition contestée, l’application de cette garantie repose sur plusieurs conditions supplémentaires :
1. Examen effectif :
L'administration doit avoir traité le point en question, dans le cadre d’une vérification de comptabilité, d’un examen de comptabilité ou d’un examen de la situation fiscale personnelle du contribuable.
Les règles administratives indiquent que la protection peut s'appliquer même si l'administration n'a pas explicitement corrigé un point vérifié, tant que ce point est mentionné dans l'avis de contrôle reçu par le contribuable.
Ainsi, contrairement à l'alinéa 1er, la garantie prévue par l'alinéa 2 s'applique même en l'absence de prise de position formelle de l'administration.
2. Bonne foi du contribuable :
Lors du contrôle fiscal antérieur, le contribuable doit avoir transmis toutes les informations nécessaires à l'administration pour prendre position, de manière éclairée, sur l’application de la règle fiscale à la situation de fait en cause.
3. Identité de situation :
La situation examinée par l'administration doit être identique à celle invoquée pour bénéficier de la garantie. Toute différence factuelle ou juridique pourrait rendre la garantie inapplicable.
Malgré ces avantages et son applicabilité à des situations différentes que celles offertes par l’article L.80 A du LPF jusqu’en 2018, l'alinéa 2 reste entouré d'incertitudes juridiques en raison des rares précédents jurisprudentiels.
Cette situation pourrait générer des ambiguïtés sur son champ d'application, ce qui pourrait rendre les recours des contribuables moins prévisibles.
III. UNE GARANTIE CONTRE LES MODIFICATIONS DE DOCTRINE ADMINISTRATIVE
L'alinéa 3 de l'article L.80 A du LPF instaure une garantie visant à protéger les contribuables lorsque l'administration fiscale modifie son interprétation des textes fiscaux par l'intermédiaire d'une doctrine publiée.
CHAMP D’APPLICATION DE LA GARANTIE
Impôts concernés :
Cette garantie s'applique à tous les impôts, droits et taxes prévues par le Code général des impôts (CGI), ainsi qu'aux taxes dont tout ou partie des règles d'assiette et de recouvrement sont référencées dans le CGI.
Contrairement à l'alinéa 1er, aucune augmentation d’impôt préalable n'est nécessaire. Cette garantie s'applique donc aussi aux premières impositions..
Nature des textes applicables :
Les lois fiscales concernées couvrent celles qui définissent le calcul, le taux, le paiement des impôts, ainsi que les pénalités et les délais de prescription. En revanche, les règles sur les procédures d'imposition, les litiges et les obligations comptables ne sont pas incluses.
CONDITIONS D'APPLICATION DE LA GARANTIE
1.Interprétation publiée : Seules les interprétations formelles publiées par l'administration fiscale dans des documents officiels, comme le Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) ou le Journal officiel, sont opposables.
2. Caractère général de l'interprétation : Le texte doit fournir des précisions générales sur le sens d'un texte fiscal, à l'instar des instructions, des circulaires administratives et des réponses ministérielles.
Ne sont en revanche pas opposables à l’administration la charte du contribuable ou les revues spécialisées de droit fiscal. Récemment, le Conseil d'État a reconnu, que certaines notices et formulaires de déclaration contenant des interprétations formelles peuvent être opposables à l'administration fiscale4.
4. Condition d'antériorité : La garantie s'applique uniquement si l'interprétation administrative invoquée a été publiée avant que le contribuable ait fait ou aurait pu faire application de la doctrine en question.
4. Identité de situation : Le contribuable doit se trouver dans une situation strictement conforme à celle prévue par la doctrine. Toute interprétation par analogie ou a contrario est exclue.
ABUS DE DROIT
Si un contribuable suit à la lettre une règle administrative qui contredit la loi fiscale ou qui ajoute des interprétations, cela pourrait être considéré comme un abus de droit fiscal. Cela signifie que cette application pourrait être jugée contraire aux intentions de la loi selon l’article L.64 du LPF.
Le 3e alinéa de l’article L.80 A du LPF représente ainsi un instrument essentiel pour les contribuables face à l’administration, mais plus technique à utiliser dans la mesure où il s’appuie sur l’intégralité de la doctrine publiée par celle-ci.
CONCLUSION
L'article L.80 A du LPF constitue une garantie importante pour les contribuables confrontés à des changements de position de l'administration fiscale. En offrant des protections contre les revirements administratifs et en renforçant la stabilité juridique, il facilite une gestion plus sereine des relations avec l’administration fiscale.
Face à la complexité de ces dispositifs, il est fortement recommandé de faire appel à un avocat fiscaliste pour étudier la situation et optimiser les chances de succès dans un éventuel contentieux.
Article rédigé par Paloma IBBA, Magistère Droit des Affaires, Fiscalité et Comptabilité, Master 2 Droit et Fiscalité de l’Entreprise.
- Sources :
- NOTES DE BAS DE PAGE :
1CE, 8 mars 2002, n°221667 ; CE, 18 mai 2005, n°264718